Quand Bachar El Assad ne sera plus là…

La Syrie de la dynastie El Assad a souvent baigné dans le sang. En 1982, Hafez El Assad, le père du président actuel, a fait couler des torrents d’hémoglobine pour noyer la révolte des habitants de Hama. Début 2011, à l’aube de la révolte syrienne, Bachar El Assad réprime violemment ses opposants. Depuis, les rebelles se sont armés. Des djihadistes côtoient les militants pro-démocratie. Le Qatar et l’Arabie Saoudite frottent leurs babouches sur toutes les règles du droit international en poussant un peu plus la Syrie dans les abysses de la guerre civile. L’opposition scie la branche sur laquelle elle est assise. La démocratie s’installe par le consensus, pas par des rafales de kalachnikov. Le pays semble destiné à un avenir incertain. Voici les scénarios qui prédominent.

Scénario à l’irakienne et partition du pays. La Syrie s’enfonce dans une longue et sanglante guerre civile. Les sunnites égorgent leurs voisins chiites et chrétiens. Les Kurdes se sentent une fois de plus marginalisés et réclament une plus grande autonomie. Dans le meilleur des cas, une solution de type fédérale est trouvée. Dans le pire des cas, la boîte de Pandore est ouverte et le Kurdistan proclame son indépendance. Cela pourrait dès lors faire un appel d’air pour les Kurdes d’Irak, d’Iran et de Turquie. Dès lors, la porte serait aussi ouverte pour l’indépendance d’autres régions. Les Alaouites, clan chiite dont est issu le président El Assad, pourrait réclamer tout le littoral. L’avenir des chrétiens serait incertain, leur salut se trouvant probablement aux côtés des alaouites ou au Liban. De la révolution actuelle, pourrait dès lors naître trois états. Le premier serait kurde et couvrirait le nord-est du pays. Le second nouvel état s’étendrait le long des côtes. Les villes de Lattaquié et de Tartous lui incomberaient. C’est à souligner, la Russie dispose d’une base navale à Tartous. L’état alaouite garderait donc une bonne carte à jouer. Le troisième état, le plus vaste, regrouperait principalement les Arabes sunnites.

Ce scénario aurait des répercussions sur tout le Moyen-Orient. Tout d’abord, l’axe chiite (Iran-Irak-Syrie-Liban) serait brisé, au grand bonheur des monarchies du Golfe Persique. Le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien seraient affaiblis en même temps que leur mentor syrien.

Scénario à la libyenne. L’opposition, aidée par ses alliés arabes et occidentaux, chasse Bachar El Assad du pouvoir. Le chaos s’installe encore plus durablement. Des dépôts d’armes sont pillés, les milices règnent, les vengeances sont légions. Les Arabes sunnites se radicalisent sous l’influence des pétromonarchies du Golfe. Il s’agit aussi de souligner le caractère sunnite du pays pour contrer les avancées iraniennes dans la région. Résultat ? Après des élections ou un coup d’état, les islamistes radicaux s’arrogent le pouvoir. L’Occident ne comprend pas et se frotte les yeux. Comment le « printemps arabe » peut-il être suivi « d’un hiver islamique » ? Les avancées démocratiques tant espérées sont reléguées aux oubliettes de l’Histoire. La Syrie dictatoriale mais laïque devient une Syrie islamiste et tyrannique.

Le pouvoir politique, malgré ses orientations radicales, sera probablement proche de l’Occident. C’est la real-politik. Mais sur le terrain, les choses iront autrement. On ne peut appeler tout un peuple à la haine de l’autre et en même temps lui dire de ne pas dégainer. Israël sera menacé par des mouvements religieux semi-indépendants. La Syrie deviendra le nouveau repère du terrorisme, à l’instar du Qatar, du Pakistan ou de l’Arabie Saoudite.

Scénario russe. Épuisés par la spirale infernale des violences, tous les belligérants s’assoient à la table des négociations. D’importantes réformes démocratiques sont décidées, Bachar El Assad s’efface. Cependant, le retrait du maître de Damas est serti de garanties concernant les droits des minorités, chères au président actuel. Les Kurdes pourraient servir de médiateurs. Minoritaires, ils sont protégés par le gouvernement de Damas. Mais ils sont également demandeurs d’une plus grande autonomie, et donc de changements. Un dialogue serein peut voir le jour. Le dialogue sera facilité par des assurances données aux grandes puissances concernant leurs intérêts dans la région. La Russie serait encline à pousser El Assad au dialogue, à condition qu’elle puisse garder la base navale de Tartous.

 Ce scénario est qualifié d’irréaliste par les Occidentaux. Ces derniers ne donnent aucune chance à la paix, alors que Bachar El Assad a plusieurs fois tendu la main à l’opposition. Les rebelles non plus n’ont que faire d’une solution qui épargnerait de nombreuses vies. Ils se sentent protégés par le soutien sans faille de leurs alliés européens et américains. Pourtant, ce scénario est le seul qui permet une Syrie démocratique, stable et unie.

Scénario sang pour sang. Devant le mutisme de l’opposition et l’inertie occidentale, Bachar El Assad écrase lentement la contestation. Le pouvoir damascène se sent menacé et verrouille un peu plus la scène politique. La révolution voulait briser les chaînes, elle aura eu l’effet inverse. L’axe chiite est renforcé, les positions russes sont raffermies dans les pays de cet axe.

Ce scénario ne contente personne en fin de compte. Les Alaouites et les minorités proches du clan au pouvoir se vengent des exactions commises par les rebelles de l’ASL. La majorité sunnite est encore plus marginalisée. Le problème est placé au frigo, il ressurgira tôt ou tard. La Syrie est débarrassée de ses «  alliés » d’antan (Turquie, Ligue Arabe, etc.).

Ce petit éventail de possibilités tend à relativiser les discours tranchés tenus par les diplomates et les journalistes. Personne n’est à 100% innocent, personne n’est à 100% coupable. Tous ont du sang sur les mains. Les propositions russes doivent être comprises. Elles sont visionnaires. L’Occident, lui, ne voit pas le mur qui se trouve au bout de son nez.

10 réponses à “Quand Bachar El Assad ne sera plus là…

  1. Belle article pro régime tout de même… La démocratie s’obtient rarement par la discussion, le scénario russe est en effet surréaliste. Assad n’est pas un homme de parole.

    • J’ai vraiment peur d’être taxé de pro-régime, parce que ce n’est pas le cas. Bachar et sa clique sont certainement des assassins. Mais l’opposition est majoritairement composée d’islamistes et d’opportunistes. Assad a montré des signes d’ouverture, notamment en organisant des législatives. L’unipartisme a été aboli. L’opposition modérée a reçu des responsabilités. L’opposition devrait au moins donner une chance au dialogue

  2. Yop,

    le « scénario Russe » ne l’est pas vraiment, c’est surtout le scénario de l’ONU avec le plan de Kofi Annan qui a, à deux reprises tout de même, raté car le cesser le feu n’a jamais été respecter. Après chacun dira si c’est le gouvernement en place ou les rebelles qui sont à l’origine de ces échecs, les médias occidentaux disent que c’est à cause du régime, accordons le bénéfice du doute sur ce point mais admettons que la révolte a commencé avec des manifestations avant d’être réprimé puis de s’armer, des discussions auraient certainement été plus simples au début du mouvement non ?

    Dire que « Bachar El Assad a plusieurs fois tendu la main à l’opposition » c’est peut être vrai mais il y a eu quelques évènements clefs avant qu’il daigne le faire, quelques centaines ou milliers de morts, et en effet ça sonne plutôt pro régime au final puisque vous avez zappé le plan de l’ONU qui aurait en effet permis un début de transition ou d’évolution du régime.

    Si le moment de la discussion n’est pas passé, il va être très compliqué.

    Les solutions qui restent sont peu réjouissantes pour les Syriens (toutes confessions confondues) et on ne peut que le déplorer; ce qu’il manque au final ce sont des figures fortes d’oppositions, mais quand l’oppositions a été réduite à néant pendant des décennies forcement…

    • Les Russes sont les premiers à avoir souligné la nécessité d’un dialogue. Le plan Annan n’en est que l’émanation.

      Tout à fait d’accord avec vous. Assad a commis une grave erreur en réprimant si durement les premiers mouvements de contestation. La situation serait peut-être comparable à celle du Maroc ou de l’Algérie… Quoique ces deux pays accordent tout de même plus de libertés aux citoyens.

      J’ai zappé le plan de l’ONU pour deux raisons. La première, le plan de l’ONU, quoiqu’en disent certains, semble mort et enterré. Ensuite parce que dans cet article je me suis penché sur la situation post-crise, pas sur le processus.

      • J’ai vécu en Algérie et en Syrie, et je peux vous que la Syrie est beaucoup plus démocratique, et que le bienêtre est incomparable, de même pour le peuple. La Syrie est un paradis!!!

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